Grimes

Interview

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Claire Boucher est la tête pensante derrière Grimes, un projet audio-visuel qui possède déjà deux albums acclamés et un EP à son actif en deux ans seulement. Non satisfaite de cette adulation déjà bien méritée, la multi-instrumentaliste canadienne sort un nouvel album aussi étonnant que le précédent, intitulé "Visions".

Comment décririez-vous votre musique à quelqu’un qui ne l’a jamais entendue?

C’est une question difficile! Humm, peut-être une sorte de pop sci-fi avec une touche de hip-hop/IDM (intelligent dance music)? (Rires)

"Halfaxa" a reçu de super critiques! Avez-vous ressenti une certaine pression à rivaliser avec cet album lors de l’écriture de "Visions"? Quelle importance portez-vous à la critique?

Je ne lis pas vraiment la presse, donc je ne sais pas trop ce que les gens disent à mon sujet. Car vous savez, je déprime vite si quelqu’un dit quelque chose de négatif sur moi. Mais personnellement, je me suis dit que cet album devait être bien mieux que "Halfaxa". Et c’est important de croire que je progresse moi-même.

Ceci est votre troisième album en deux ans! Etes-vous de nature productive ou vous êtes-vous imposée une éthique de travail?

Je crois que je suis de nature productive. Du moment que j’ai du temps libre et de l’intimité, je crée de la musique.

Nous avons lu que ce troisième album fut créé en période de réclusion imposée par vous-même. Le procédé d’écriture et d’enregistrement fut-il agréable?

(Rires) C’était à la fois agréable et tourmenté, mais je pense que le fait que ce soit un procédé difficile a fait que ce soit plaisant, vous me comprenez? Je repense à ces moments avec nostalgie, même si à l’époque, je me rappelle pleurer souvent et crier “J’en ai marre !” (Rires). J’ai ensuite enregistré cet album dans ma chambre à Montréal, et ce fut une bonne manière de travailler.

Quel était votre objectif pour cet album et pensez-vous l’avoir atteint?

J’avais une certaine idée de ce que ça donnerait avant de l’avoir terminé, mais c’était encore vague en termes de couleurs et autres. Je voulais juste créer quelque chose de super entrainant à écouter et de super agréable à faire. Je visais le plaisir et la sensualité d’abord, puis également quelque chose d’agressif émotionnellement, et de très triste et intense à la fois. Ça a un sens?! (Rires)

Pour nous, "Visions" semble être plus unifié que "Halfaxa", plus ancré dans la musique dance, êtes-vous d’accord avec nous?

Oui! Enfin, je ne sais pas vraiment si "Halfaxa" peut être considéré comme un "album", vous savez… J’écrivais juste beaucoup de morceaux à l’époque et la liste commençait à être longue, donc je me suis dit qu’il fallait probablement rassembler le tout… et c’est ce qui s’est passé. Pour "Visions" par contre, je me suis assise et j’ai enregistré le tout en trois semaines, puis je me suis dit : “Fini. L’album est bouclé”. Donc oui, il est beaucoup plus cohésif.

Quelles étaient vos influences majeures lors de l’écriture de cet album?

Je ne pense pas vraiment aux influences jusqu’au jour où l’album sort. Mais j’écoutais beaucoup de K-pop et beaucoup de R&B et de new jack swing, puis également de la dance et de l’IDM comme Aphex Twin et Boards of Canada.

Si vous deviez choisir un morceau dont vous êtes le plus fière sur l’album, lequel serait-il et pourquoi?

Probablement le morceau "Be A Body". J’ai passé beaucoup de temps dessus. Pour les autres morceaux, je les écrivais, les enregistrais puis les clôturais; ça ne prenait que 24 heures. Avec ce morceau, je ressentais la progression : le morceau commençait d’une certaine manière, puis je le modifiais constamment. Je ne sais pas, peut-être que ça ne veut rien dire aux autres, mais pour moi, ça reflète ce que Grimes va représenter dans le futur. C’est une des dernières chansons que j’ai enregistré sur l’album et elle me semble la plus avancée.

L’un des éléments le plus frappant dans cet album est votre voix, et le fait que vous utilisiez certaines méthodes pour la déformer et jouer avec. Quelle importance portez-vous aux paroles et essayez-vous de faire passer un message?

J’écris surtout les paroles pour moi! Les chansons parlent toutes de quelque chose de précis mais c’est surtout pour mon propre bien-être, je sais de quoi elles parlent. Tout est très personnel, donc je ne veux pas vraiment que le public sache de quoi ça parle! (Rires)

Quels sont les artistes qui vous inspirent?

Je suis très inspirée par les artistes féminines de la scène canadienne, comme Megan de Purity Ring et Raf de Braids/Blue Hawaii. Puis également par des artistes comme How To Dress Well, avec sa touche R&B. Je le connais bien aussi, donc ça a été une influence majeure pour moi. J’ai beaucoup d’amis qui font de la bonne musique à laquelle je peux m’identifier. Je vivais d’ailleurs avec Raf, mais ça n’a pas marché.

Pourquoi?!

Elle est très maniaque et je suis bordélique! (Rires) De plus, elle n’aimait pas mes peintures car elles sont assez diaboliques et je pense que ça lui procurait de mauvaises ondes ! Elle disait : “Claire, enlèves ces peintures du mur!” et je répondais, “Nooon, c’est mon art!” puis on se chamaillait! (Rires)

Grimes est un projet audio-visuel: quelle forme d’art aimez-vous exprimer le plus et pourquoi? Et seriez-vous intéressée d’explorer d’autres possibilités créatives en mêlant la musique et la technologie, comme Björk et son appli Biophilia?

Sans aucun doute la musique, car c’est tellement expressif, je me sens bien quand je la crée et mes meilleures expériences viennent de là. J’anticipe également toute innovation dans la musique, et c’est souvent la musique la plus émotionnelle et gratifiante qui soit. Je ne parle pas d’utiliser un iPad. Je veux dire que je suis intéressée par ma propre exploration de la musique. Mais une fois finie, c’est terminé et c’est ce que les gens vont écouter.

Vous êtes signée chez 4AD pour la sortie internationale de "Visions", mais vous faites partie du collectif Arbutus Records au Canada. Quel impact est-ce que Arbutus a eu sur votre développement artistique?

Grimes n’existerait pas sans Arbutus! (Rires) Car au début d’Arbutus, un des fondateurs me disait “Claire! Sors un album!”, et quand je l’enregistrais, il m’appelait tout le temps pour me demander quand est-ce qu’il serait terminé. Et je me disais “Oh mon Dieu… Je n’arrive pas à croire que je me suis mise là-dedans!” Donc j’ai sorti mon premier album car j’étais presque forcée à le faire ! Avec du recul, c’est plutôt bien. Une fois que j’ai eu un peu de succès, je me suis dit “Peut-être que je devrais faire ça…” Mais si ça n’était pas arrivé, je n’aurai jamais sorti de disque. C’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps, mais j’avais juste trop honte pour me lancer. L’idée de chanter devant un public me faisait peur! Mais aujourd’hui, je suis très contente d’avoir surmonté cette peur.

Quels sont les albums phares qui vous ont donné envie de devenir musicienne?

Oh, hmm, "Stankonia" de Outkast, Feels et tout Animal Collective et Panda Bear, et tout ce qui a été fait par Burial... Oh, il y en a tellement! Le remix de Physical Therapy sur le titre "Un-thinkable" d’Alicia Keys était à couper le souffle pour moi. Je me demandais toujours pourquoi les chanteurs de R&B n’étaient pas également des producteurs de génie?! Il devrait y avoir plus de musique R&B bizarre et dérangeante, je n’arrive pas à croire que cela n’existe pas ! Donc je voulais être celle qui incarnerait ça, au lieu que ce soient toujours des remixes...

De quoi êtes-vous le plus fière jusqu’à présent? Et qu’attendez-vous de l’année 2012?

Probablement la chanson "Be A Body"; je trouve que c’est la meilleure chose que j’ai jamais faite. Et cette année, j’ai hâte de voyager en Asie ou en Afrique pour ma tournée. Je ne sais pas encore vraiment où nous irons mais nous sommes en train d’organiser ça en ce moment.

Et au final, qu’espérez-vous achever avec Grimes?

Je veux continuer à créer de la musique innovatrice. Ca ne m’intéresse pas d’être seulement un groupe branché. Même si tout le monde me déteste et m’oublie, je ferai quand même de la bonne musique et c’est tout ce qui compte. Je préfère avoir un petit nombre de fans qui me considère comme importante, plutôt que d’être célèbre mais n’être qu’un autre artiste parmi d’autres.

März 2012