The Dø

Interview

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Quatre ans après "Both Ways Open Jaws", The Dø sont de retour et présentent un nouvel album plus électro. Le duo franco-finlandais explique les raisons derrière ce changement de son, et les difficultés traversées lors du processus créatif de leur troisième album, "Shake Shook Shaken".

Votre son a évolué depuis "Both Way Open Jaws", pour un son plus électronique sur laptop et synthés. Pourquoi ce changement?

Olivia Merilahti: Ce changement est le résultat d’un mélange de circonstances. Nous avions déjà commencé cette évolution sur deux morceaux de l’album précédent, "Dust It Off" et "Slippery Slope". Mais sur notre dernière tournée, nous avons dû aller aux Etats-Unis sans notre batteur, donc nous avons dû nous débrouiller tous seuls avec les boîtes à rythmes. Puis nous avons réalisé que nous pouvions utiliser des synthés de temps en temps, et c’est devenu un choix d’essayer de jouer avec des nouveaux outils ; des outils d’aujourd’hui, que les musiciens plus traditionnels n’utilisent pas forcément. J’ai l’impression qu’on se place entre la scène indé traditionnelle – qui utilise les instruments plus "normaux" – et la scène électronique.

Est-ce aussi la conséquence de vos goûts musicaux qui évoluent?

Dan Levy: On est toujours à la recherche de changement; on ne peut pas répéter ce que l’on a fait dans le passé, et on veut s’amuser en découvrant de nouveaux sons. Mais oui, j’écoutais plus de musique électronique à l’époque. Je me souviens qu’à un festival, j’ai vu un DJ set de Paul Kalkbrenner, et 30 000 fans se déchainaient sur son beat. J’ai alors réalisé à quel point cette énergie était puissante et magique. Je ressens la même chose avec le hip hop : c’est le beat, plus que la chanson, qui te fait voyager. Mais si on peut mélanger les deux, c’est encore mieux.

OM: Sur nos autres albums, on écoutait beaucoup de jazz et on s’interdisait d’écouter de la pop moderne, car on avait trop peur d’être influencés par ce que l’on écoutait. Ca allait d’être influencé par du jazz ou d’autres choses qui sont plus loin de notre son. Mais cette fois-ci, c’était un peu différent. Je suis une grande fan de hip hop, j’adore également la musique électro et j’ai commencé à découvrir pas mal d’artiste que je ne connaissais pas, donc on s’est tout d’un coup plongé dans une nouvelle obsession musicale. Evidemment, ça a changé notre musique d’une certaine manière et ça s’entend.

DL: Mais vous savez, Pink Floyd utilisait des synthés, The Beatles utilisait un mellotron, et c’était tout nouveau à cette époque. Après, tous les groupes voulaient produire le même son. Nous voulions utiliser des plug ins gratuits et des sons de synthés gratuits car nous voulions créer un album de notre temps.

Vous avez quitté Paris pour enregistrer dans une tour d’eau du 18ème siècle. Comment avez-vous trouvé cet endroit?

DL: A travers un ami. J’en avais marre de Paris, je voulais juste me réveiller le matin et me concentrer sur ma musique. Quand vous vivez en ville, entouré de vos amis, constamment au téléphone ou sur internet, vous avez tellement de distractions. A la campagne, tout ce qu’il y a, c’est un studio.

OM: Je vois ce que tu veux dire, mais de mon côté, j’avais besoin des deux. Je vivais au centre de Paris et j’avais besoin de cette énergie urbaine, cette tentation, ce vacarme, ça a également nourri cet album. Puis je me suis rendu à la campagne et j’étais autre part. C’est un peu schizophrène, mais j’ai besoin de cette contradiction. C’était aussi un bon moyen de tester les morceaux, car je partais de la campagne avec des démos, et je pouvais me rendre compte si le son était meilleur en environnement rural ou si ça marchait aussi bien à Paris.

Sur "Trustful Hands" vous chantez, "Chaos is my second name, I don't mind where I land" (Le chaos est mon deuxième prénom, je ne me soucie pas où j’atterris) et sur "Despair, Hangover, Ecstasy" vous écrivez, "We're not so different from convicts on the run" (Nous ne sommes pas si différents de prisonniers en fuite) Parlez-vous de votre vie sur la route, ou est-ce plus profond que ça?

OM: "Despair, Hangover, Ecstasy" parle sans aucun doute d’artistes en tournée, ou de la vie de personnes qui voyagent beaucoup et qui ne s’attachent nulle part. "Trustful Hands" est une chanson plus sentimentale. Ca parle de toujours faire en sorte que quelque chose d’émotionnel rentre en jeu. En tant qu’artiste, il est également important de se sentir à l’aise dans le chaos car c’est de là que l’on tire l’inspiration. C’est un vrai défi mais ça fait partie du boulot.

Est-ce que certains thèmes ont évolués?

OM: Il est difficile de définir des thèmes, car l’écriture est tellement spontanée. C’est comme se souvenir d’un rêve et l’écrire sur un bout de papier en se réveillant. Je ne peux pas vraiment l’intellectualiser, mais il y a un sens d’unité et de communion que je voulais exprimer. J’essaie aussi d’utiliser plus de "nous" au lieu de "je", comme si je voulais permettre à Dan de chanter les chansons avec moi (Rires).

Il y a aussi peut-être quelque chose d’héroïque dans les paroles et la musique. J’aime l’idée d’apparaître comme une sorte de héro – pas forcément un super héros de bd. Nous voulions quelque chose de triomphant. Il s’agit de montrer à la fois sa faiblesse et sa force.

Cela transparaît sur le titre de l’album, qui est tiré d’un terme finlandais ancien?

OM: Sisu? Oui, c’est le courage d’avancer et de ne jamais se poser en victime. Nous avons traversé des moments difficiles tous les deux, et enregistrer cet album appelait à la bravoure d’une certaine manière. Je sais que ce n’est que de la musique, mais de temps en temps, on se demande pourquoi on continue; tous les deux au milieu de nulle part.

Pourquoi le procédé de création de cet album fût-il aussi problématique?

OM: Et bien, nous nous sommes séparés.

DL: Nous étions très attachés – nous étions en couple – puis nous nous sommes séparés, puis il y a eu un décès dans la famille…

OM: ...C’était une année difficile. La musique était le seul point de repère que nous avions, c’est la seule chose qui nous soutenait et nous donnait une part de bon sens. Je me sens très chanceuse et reconnaissante du fait que la musique soit notre moyen de nous exprimer et de recycler toutes ces mauvaises choses – nous pouvons transformer celles-ci en art. C’est quelque chose de très fort ; où la musique peut-elle t’amener, et comment elle peut te sauver.

Quels étaient les obstacles lors du procédé créatif de "Shake Shook Shaken"?

OM: Nous ne nous étions jamais penchés sur le côté digital de la musique auparavant, donc c’était l’un des défis, sans aucun doute. Mais c’était un bon défi. Nous voulions que les morceaux sonnent chaleureux et rythmés, et non froids et plats. Et nous voulions nous concentrer sur l’essentiel du morceau, au lieu de se perdre dans de longues intros et conclusions.

DL: Vous savez, aujourd’hui les gens écoutent leur musique partout – dans leur voiture, chez eux en faisant autre chose – et vous avez moins la possibilité de prendre le temps d’écouter les petits détails. Vous voulez l’intro, les couplets, le refrain, le morceau.

Vous vouliez donc être plus direct et toucher plus de gens?

OM: Je ne sais pas si nous allons toucher plus de gens, mais nous en avions besoin nous-mêmes. Nous voulions également essayer de trouver une certaine énergie. Ce n’était pas de l’arrogance; c’était plus, "Si nous voulons prendre ce risque, nous y allons." "Arrogant" n’est peut-être pas le bon terme... Nous ne voulions pas trop réfléchir sur la musique. Nous voulions que cela soit une expérience plus physique.

Avez-vous appris des choses sur vous-mêmes en enregistrant cet album?

OM: Je pense qu’on a réalisé qu’on était plus forts qu’on pensait.

DL: Cet album est très important pour nous. Sur le premier album, nous venions de nous rencontrer, donc c’était tout neuf pour Olivia et moi, et c’était marrant. Nous avons connu un grand succès en France avec notre premier album, donc le deuxième album reflétait plus notre envie d’aller plus loin dans notre musique. Lors d’interviews pour notre deuxième album, je disais toujours : "Je me fiche des gens, je crée juste la musique que je veux."

Aujourd’hui, après tous ces moments difficiles dans nos vies personnelles, je réalise que la musique peut nous aider. J’écoutais Al Green et de la vieille soul, avec des paroles toutes simples, et ça m’a ému ; ça m’a aidé. Je comprenais la musique pour la première fois de ma vie. Je pense que c’est ce que nous avons accompli sur cet album. Je ne sais pas comment nous l’avons fait, car c’était très dur pour nous, mais nous l’avons fait. Et je suis tellement fier et content d’être ici, de pouvoir faire des concerts.

Vous avez récemment gagné le prix du Meilleur Album Rock aux Victoires de la Musique, donc les réactions ont été très positives!

DL: Oui, c’était génial. Comme quoi, on peut faire un album à deux, après avoir vécu des choses très douloureuses, et obtenir un beau succès. C’est très positif.

Vous travaillez ensemble depuis dix ans, c’est bien ça?

OM: Oui, on s’est rencontrés il y a dix ans, mais The Dø existe depuis moins longtemps.

Vos motivations de créer de la musique ont-elles changées depuis tout ce temps?

OM: Je crois que notre objectif au départ était de s’essayer à autant de genres que possible. Nous étions en quête d’expériences musicales variées. Et c’est toujours le cas, donc c’est bon signe. Quand nous commençons un processus créatif, il y a toujours ce désir de surprendre l’autre, donc c’est pour ça que nous essayons toujours de nous surpasser.

Il y a une chose que nous rêvons de faire, c’est de faire jouer cet album par un orchestre. A Paris, il y a la nouvelle salle de la Philharmonie qui vient d’ouvrir, et c’est un endroit incroyable en termes d’acoustique. Je trouve que ça vaut le coup d’avoir cet album si synthétique, si digital, joué par de vrais instruments acoustiques. C’est mon rêve. Donc nous en parlons en ce moment, pour voir quand cela serait possible.

DL: C’est bizarre parce que j’ai lu un article sur le voyage sur Mars l’autre jour, et apparemment, le voyage dure deux ans, dans une toute petite capsule, et je me suis dis que nous vivions un peu la même chose. Nous nous sommes rencontrés, et maintenant nous sommes dans cette capsule et nous savons que nous devons créer de la musique ensemble. On ne peut pas se dire "Ok, salut, j’y vais."

März 2015