Villagers

Interview

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Alors que l’album "{Awayland}" de 2013 reflétait un projet plus collaboratif pour Conor O’Brien, le 3ème album des Villagers "Darling Arithmetic" marque un retour aux sources et un travail solo pour le chanteur irlandais. Nous nous sommes entretenus avec lui sur l'enregistrement particulier de ce nouvel album, la colère qui le poussait à écrire et la délivrance ressentie en partageant ces nouveaux morceaux.

Salut Conor, comment ça se passe à New York?

Très bien! Nous allons être en tête d’affiche ce soir, à l’Union Pool de Brooklyn. C’est complet, ce qui est super, donc j’ai hâte.

Les arrangements des nouveaux morceaux sont maîtrisés pour ce soir?

Je ne sais pas; ils semblent malléables. De plus, ce ne sera que moi et mon harpiste donc on va découvrir un peu au fur et à mesure. Mais oui, tout se présente bien. On a joué un petit nombre de concerts déjà en Angleterre et en Irlande, et l’autre soir, j’ai joué avec Laura Marling à Brooklyn, donc ça doit être notre cinquième concert.

Sur "{Awayland}" et "Becoming A Jackal", tu étais plus ambigu au niveau des paroles, alors que "Darling Arithmetic" semble être plus direct et autobiographique.

Oui, il est définitivement plus personnel. J’ai écris sur mes expériences propres, mes souvenirs, et mes émotions.

Pourquoi avoir décidé de partager tes sentiments à ce moment de ta carrière?

J’ai toujours été à l’aise dans ma vie privée, mais je suis une personne assez réservée, donc j’ai toujours trouvé ça étrange de partager mes sentiments avec des inconnus et des journalistes. Ce n’est pas quelque chose avec laquelle j’étais confortable jusqu’au moment où j’avais de l’art comme support, qui je l’espère en a fait quelque chose de beau. Une fois que j’avais ce support, qui est l’album, partager mes émotions est devenu plus facile.

Pour la première fois, tu parles sans équivoque d’amour et de ruptures. Avais-tu une certaine réticence à aborder ces sujets si universels auparavant?

Oui, c’est sans aucun doute l’un des thèmes les plus exploités de la culture pop, mais c’est également une source d’inspiration sans fin... je pense que je voulais simplement ajouter ma petite pièce à la fontaine de l’amour. Je ne pense pas avoir évité ces sujets dans le passé ; ça a probablement plus à voir avec le fait que mon idée de l’amour était accompagnée d’un bagage émotionnel assez important, que j’ai vécu avec des sentiments d’homophobie et de bigoterie. Je voulais être certain que si j’abordai ce sujet, j’allais être assez fort pour gérer cela d’un point de vue émotionnel dans mon écriture. A ce stade de ma vie, je le suis, et je pense que j’ai crée quelque chose que je n’aurai pas pu créer il y a cinq ans.

Le fait d’avoir posé ces sentiments sur papier t’a aidé personnellement?

Oh oui, il y a sans aucun doute quelque chose de thérapeutique là-dedans. Je pense être assez à l’aise aujourd’hui pour admettre que beaucoup de mon écriture est une thérapie ; avant, je trouvai l’idée un peu trop complaisante. Mais avec cet album, j’ai décidé d’écrire pour moi-même complètement, et une fois que j’ai laissé les autres bagages derrière moi, j’ai réalisé que plus j’approfondissais en moi, plus la chanson devenait universelle, ce qui fût une vraie découverte.

Chaque chanson reflète un moment différent de ma vie, exploitant différentes parties de ma mémoire. Je ne suis pas concentré sur un moment de ma vie pour une chanson : si j’écris sur la même émotion, mon cerveau peut voyager d’un moment à l’autre de ma vie en un instant.

Tu as vraisemblablement surmonté ces expériences. Jouer ces morceaux en concert ne fait-il pas remonter tous ces sentiments à la surface?

Oui, mais d’une manière positive. Même si vous écrivez une chanson sur une rupture, le fait de passer tellement de temps sur sa création, de la rendre aussi belle que possible – et le fait que vous la chantiez chaque nuit – est presque un témoignage de l’importance de cette relation ou personne dans votre vie. Donc avec un peu de chance, l’album rend hommage à chaque personne sur mes morceaux. Jouer ces chansons, c’est quelque chose de très spécial pour moi : même si je m’attaque à des sujets assez sombres, je reste toujours assez excité à la fin du concert.

Comme tu l’as mentionné tout à l’heure, tu partages tes expériences sur l’homophobie avec les morceaux "Little Bigot" et "Hot Scary Summer". Cela est-il venu naturellement après le morceau "Occupy Your Mind" , que tu avais écris à l’époque pour protester contre les Jeux Olympiques de Sochi?

Je pense que "Occupy Your Mind"a découlé du fait que tout ce que je lisais à l’époque parlait de la situation en Russie. Lire les comptes rendus de personnes homosexuelles qui avaient été attaquées en Russie m’a bouleversé, et je ne pouvais pas ne rien écrire là-dessus.

Mais en ce qui concerne l’écriture sur l’homophobie et la bigoterie sur cet album, je voulais juste atteindre un stade où je pouvais écrire un album d’amour universel. Il était important pour moi que cet album parle de relations d’amour, écris de la perspective homosexuelle, mais il était également important que cet album puissent toucher tout être humain, quelque soit son orientation sexuelle. Il m’a fallu autant de temps pour écrire comme ça sans être trop moralisateur. Je voulais que les morceaux proviennent d’un endroit émotionnel pur, tu comprends?

Puis il y a aussi le fait que je vienne d’Irlande, et avec le référendum sur le mariage, le discours sur l’homophobie de Panti Bliss qui est devenu viral, tout cela a nourri mon indignation et mon énergie lorsque j’écris. J’imagine que ça a libéré la pression et permis aux morceaux de respirer, et d’être des morceaux humains au lieu d’être des morceaux gays (Rires).

As-tu remarqué une certaine ouverture d’esprit en Irlande ces dernières années?

Oui, ça a beaucoup changé, ce qui est super à voir. Quand j’étais petit, l’Eglise en Irlande avait une grand influence sur l’éducation et la politique, ce qui signifie que j’ai grandi en ayant le sentiment de ne pas pouvoir être ou exprimer qui j’étais. Je suis chanceux d’avoir une famille très ouverte d’esprit – et beaucoup de gens ne sont pas si chanceux – mais simplement vivre en Irlande en tant qu’ado dans les années 90 et début 2000 n’était pas drôle tous les jours si tu étais gay. Tu avais le sentiment de devoir cacher qui tu étais.

Après avoir fait de Villagers un projet collaboratif pour "{Awayland}", quand as-tu décidé de revenir à un projet solo pour "Darling Arithmetic"?

Je crois que le processus a duré 8 mois, entre l’écriture et l’enregistrement, et en cours de route, j’ai réalisé que ces enregistrements étaient assez intimes. Et j’aimais le fait qu’ils soient imparfaits et spontanés. Ce que vous écoutez sur cet album, en gros, ce sont mes enregistrements fait maison ; je n’ai pas retravaillé dessus. Par exemple, quand j’ai enregistré les voix, je ne pensais pas que quelqu’un écouterait ces versions, donc ils sont très dénudés et émotionnels. Mais je ne me voyais pas ramener ces enregistrements en studio et rejouer ces émotions, donc je les ai gardées telles quelles. Il y a des sons d’oiseaux sur l’album, dont je ne peux pas me débarrasser car ils sont sur l’enregistrement des voix. (Rires)

Ce que j’ai aimé dans la création de ce disque, c’est qu’une fois la décision prise de faire ce disque tout seul, j’ai apprécié les autres aspects – comme enregistrer les morceaux et les mixer, jouer tous les instruments – car ça a éclairé mon écriture. J’analysais par exemple le jeu de batterie qui pouvait changer la donne sur une parole, et tous ces différents procédés créatifs se nourrissaient les uns des autres. Ca créait alors du contexte et des moments de créativité, ce qui était super.

Peux-tu nous parler un peu plus du titre éponyme?

C’est la plus vieille chanson de l’album: Je l’ai écrite avant que mon deuxième album ne sorte, mais elle ne convenait pas à cet album là. De plus, c’était une chanson qui était trop proche de moi à l’époque pour être chantée en public, car elle parle de la perte d’un être cher. Je ne me sentais pas de la partager avec quiconque à l’époque.

J’ai écrit la chanson en remplaçant le nom de la personne avec le mot "arithmetic" – quelque chose de froid et de mathématique – pour me permettre de garder une certain distance, et pour que je puisse me plonger dans le reste de la chanson. Une fois la chanson finie, j’ai gardé le mot "arithmetic", car je trouvais que ça apportait une jolie valeur métaphorique. "Arithmetic" est la base des mathématiques, donc placer le mot "darling" avant suggérait la base de toute relation humaine, quelle soit familiale, amicale, amoureuse… C’est vraiment la base de toute vie, et il faut s’en rendre compte, ce qu’essaie de faire la chanson, et tout l’album en général.

Une fois que j’avais fini d’écrire toutes les chansons de l’album, j’ai réalisé que ce morceau avait enfin une maison. C’était la pièce maîtresse de l’album, et les autres morceaux servaient de rempart pour protéger celle-ci.

As-tu appris quelque chose en écrivant cet album?

C’est une question difficile. Je me rappelle être surpris du ton de certaines chansons, comme ci je ne savais pas que j’allais aller dans cette direction avec telle chanson. "No One To Blame" est une chanson d’amour non réciproque, et en l’écrivant, j’ai réalisé que je l’écrivais à moi-même en tant qu’ado; c’est devenu une chanson de consolation.

Ta motivation de créer de la musique a-t-elle évolué ces dernières années?

Je pense qu’elle est différente. Comme je le disais, je me nourrissais d’une certaine énergie d’indignation auparavant, et je pense que j’étais assez terrifié de perdre cette colère, car c’est tout ce que je connaissais. Depuis tout petit, j’écris sur le fait d’être opprimé, et d’être à la marge de la société, et cette colère m’a permis d’écrire beaucoup de chansons. Mais aujourd’hui, j’ai libéré cette énergie et cet album a été une vrai catharsis, il est beaucoup plus ouvert. C’est un peu terrifiant, car je ne sais pas où je trouverai l’énergie pour le prochain album.

De plus, si je sors un autre album, ce sera très différent car pour la première fois, je n’ai plus de chanson en réserve, ou aucun matériel du passé à inclure. Je vais devoir recommencer à zéro, et c’est très excitant.

April 2015